Herransa : choc culturel dans la sierra péruvienne

6 Novembre 2013



Il est 18h, le soleil se cache derrière la montagne voisine et la nuit tombe sur San Pedro de Casta, petit pueblo de la sierra péruvienne. Allongé à 3100 mètres d’altitude, sur une pente proche du village, je contemple le ciel le plus étoilé qu’il m’ait été donné de voir, au sein d’un silence assourdissant...


San Pedro de Casta | Crédits photo -- Sylvain Godoc/Le Journal International
San Pedro de Casta | Crédits photo -- Sylvain Godoc/Le Journal International
Ne connaissant pas la position des constellations dans l’hémisphère sud, ma contemplation est béate, peut-être même naïve. Tout du moins, pourrais-je me justifier en prétextant l’attente patiente et illusoire de l’apparition d’étoiles filantes. Cependant, cela serait mentir, aucune raison ne me pousse à être là. J’y suis, c’est tout.

Le temps se suspend, je ne suis plus de ce monde, je suis...ailleurs. Puis, tout à coup, un bruit qui semble venir de loin me tire de ma léthargie contemplative. Réveillant mes sens un à un, l’ouïe me fait savoir que, loin d’être un bruit quelconque, c’est une musique qui vient d’assurer mon retour dans le monde réel. Je m’assois et prête une oreille plus attentive, cela ne semble pas si loin. Je décide de chercher l’origine physique du son perçu, mélodie joyeuse d’un orchestre rieur. Quelques dizaines de mètres plus bas, dans la noirceur profonde d’une nuit sans lune, j’aperçois une lumière scintillante. Pas le temps de me concentrer dessus, la lumière file tout droit vers la voûte céleste et explose, m’assourdissant légèrement. Un feu d’artifice ? Ma curiosité redouble d’intensité et il me faut peu de temps pour arriver jusqu’au lieu du tir.

Ici, à la lueur de deux petites lampes torches, trois générations sont regroupées : l’orchestre constitué de trentenaires vigoureux forgés par la vie montagnarde ; la ronde des danseuses âgées d’une soixantaine d’années et les enfants dans toute l’innocence propre à leur âge. Je reste quelques instants bouche bée, me sentant tout en même temps intrus au sein de ce regroupement villageois où il ne me semble pas devoir me trouver et fasciné sans possibilité de détacher mes pieds plantés au sol.

Une voix et une main me sortent de ma torpeur. Elles m’intiment de rejoindre la ronde. Sans trop comprendre comment, je me retrouve au sein d’un groupe d’Andines pliées par le temps et les fardeaux qu’elles transportent depuis 50 ans pour les plus âgées. Ici, pas de chorégraphie, on se suit dans un cercle sans fin au rythme entraînant de l’orchestre local tandis qu’un gobelet en plastique, îlot moderne dans ce folklore ancestral, rempli de vin par une vieille dame tout en sourire circule de main en main. Le refuser serait offensant, alors je bois de bonnes gorgées à chaque fois qu’il m’arrive dans les mains. La boisson réchauffe les cœurs et les corps engourdis par le froid mordant de la sierra.

La musique s’arrête, la ronde se défait. Cependant, ce moment hors du temps va se prolonger... Le rythme reprend de plus belle et je me fais porter par la vague humaine retournant en procession vers le village. Les feux d’artifice redoublent d’intensité et je me rends compte que le tireur ne doit pas avoir plus de 12 ans. Pourtant, il manie ses beautés jaunes avec une aisance à couper le souffle. A l’avant de la procession, l’Andine, à l’outre de vin, lance des bonbons en l’air pour satisfaire les gamins qui se jettent dessus avec avidité. Les sourires sont partout. Arrivés sur la place de San Pedro, nous nous arrêtons et reprenons la ronde de plus belle. On tourne, on tourne, on tourne... Je pense que le vin n’est pas étranger au fait qu’un tour m’en paraît deux.



Crédits photo -- Quentin Courbon/Le Journal International
Crédits photo -- Quentin Courbon/Le Journal International
L’orchestre prend une pause, les bières sont arrivées. Les gosiers de ces infatigables musiciens sont secs, mais ils prennent le temps de savourer et de discuter. Pour ma part, je m’asseois sur une bordure en pierre, les yeux qui pétillent. Je regarde autour de moi et me rend compte qu’une poignée d’autres voyageurs d’un jour se sont joints à nous au cours de la procession. Nous nous échangeons des regards complices, partageant le même moment privilégié.

C’est alors qu’un « hola » avenant me parvient. A ma gauche, ma voisine Juanilla, une Andine agée d’une cinquantaine d’années, engage la conversation à ma grande et joyeuse surprise. Grâce à elle, j’apprends que je suis tombé dans la fête d’Herransa, célébrant le marquage des chèvres de la vallée. Nous discutons quelque temps de choses et d’autres jusqu’au moment où l’improbable musique de « Joyeux anniversaire » retentit. Une femme, Rosa, s’avance et danse, simplement. Elle a 78 ans aujourd’hui et une santé impeccable. Son secret réside peut être dans la montée quotidienne vers le site de Marcahuasi, situé 900 m plus haut...

Le temps passe, les rondes continuent, je me délecte. Soudain, la magie prend fin. Un groupe de touristes, whisky coca à la main, débarque sans crier gare. Très vite, la ronde se dissout sous l’impulsion de ces envahisseurs et de leurs flashs sans scrupule ni respect des coutumes. Peut être est-ce l’esprit de masse qui a joué car le lendemain j’ai pu me rendre compte que certains d’entre eux étaient des gens vraiment biens. Toutefois, d’excuses je ne peux leur en trouver pour ce soir-ci... Rapidement, écœuré, je suis les villageois qui le sont tout autant que moi et m’éloigne de la place qui ressemble maintenant plus à une banale soirée étudiante qu’au théâtre de magie qu’elle fut pour moi. Il est 21h, mon appareil photo est vide mais mon cœur, mes yeux et mes oreilles, eux, sont pleins.

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Sylvain Godoc
Etudiant à Sciences Po Bordeaux en deuxième année. Actuellement en mobilité à la PUCP, Lima, Pérou.... En savoir plus sur cet auteur



1.Posté par Trentrois le 06/11/2013 23:02
article genial, excellant ce correspondant

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